Edito du 28 mars 2022

Globe terrestre
L'Ukraine en question

Ukraine : et si l’on changeait notre point de vue sur l’immigration ?

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Photo by Kyle Glenn on Unsplash

Les événements se précipitent. La guerre apporte son lot de malheurs, s’abat sur un peuple qui n’avait rien demandé et l’émotion est à la hauteur de l’horreur dont nous sommes spectateurs depuis un mois. Nombreuses sont désormais les personnes qui souhaitent accueillir les réfugiés ukrainiens ; notre association a reçu les offres d’accueil d’une trentaine de familles, à Laval-en-Belledonne et à Theys notamment. On ne se le cachera pas : ça fait chaud au cœur ! Vraiment.

L’Europe prévoit dans sa législation l’accueil des réfugiés, et pour une fois, pour des raisons politiques, encourage les initiatives qui vont dans ce sens. On trouve ces informations sur le site infoMigrants, qui les reprend d’un article de Mediapart du 15 mars :

« Comme tous les États membres de l’Union européenne (UE), la France accorde à ces déplacés fuyant la guerre en Ukraine une « protection temporaire ». Ce dispositif inédit leur permet de séjourner dans l’UE pendant un an renouvelable, d’y travailler ou encore d’accéder à un logement.

Une situation inédite : pour rappel, les demandeurs d’asile « classiques », eux, n’ont pas le droit de travailler durant les six mois suivant le dépôt de leur demande, et ont généralement les plus grandes peines à trouver un employeur acceptant de les embaucher une fois passé ce délai.

Pour les ressortissants ukrainiens ainsi que leurs familles ayant fui l’Ukraine depuis le 24 février, il est par ailleurs possible de déposer une demande d’asile dans un pays, le statut de réfugié conférant une protection de plus longue durée. En cas d’échec de sa demande, la « protection temporaire », si elle n’a pas expiré, reste effective. »

Ce qui n’empêche pas les dérapages. Un document interne à la juridiction montre comment des consignes ont été données aux juges de l’asile pour geler les dossiers de ressortissants ukrainiens arrivés en France avant le conflit. Les avocats dénoncent le caractère « discriminatoire » de cette mesure, alors que les nouveaux arrivants sont protégés.

La France pourra accueillir jusqu’à 100 000 Ukrainiens. Du jamais vu. 15 000 sont d’ores et déjà arrivés en France. Et ces demandeurs d’asile méritent pleinement notre soutien.

Je ne peux m’empêcher de penser que les autres migrants aussi.

Migrants sur un bateau
Photo by Ravi Sharma on Unsplash

Le moins qu’on puisse dire en effet est que la générosité des nations occidentales ne saute pas aux yeux quand on vient du Sud ou d’Orient. 

Le 1er mars, dans un blog du Club de Mediapart, l’enseignant-chercheur en analyse de discours et communication, Albin Wagener exprimait son malaise profond :

« J’ai honte, parce que lorsque je vois que les pays de l’Union Européenne se disent prêts à accueillir des réfugiés ukrainiens, à raison, ce n’est que parce que cela rappelle, en miroir, à quel point nous sommes inhumains et abjects lorsqu’il s’agit d’accueillir des réfugiés dont le simple crime est d’avoir une couleur de peau différente de la nôtre. J’ai honte que nous ayons laissé la Méditerranée se transformer en cimetière, j’ai honte que nous ayons laissé des réfugiés crever de froid à la frontière biélorusse, alors que nous accueillons pourtant d’autres personnes qui ont vécu exactement le même calvaire. J’ai honte, parce que notre prétendu universalisme est en fait un universalisme pensé d’abord pour les personnes blanches ; je ne le découvre pas maintenant, bien sûr, mais cela apparaît désormais comme une violence brutale, éclatante et absolument insupportable. »

Et si les citoyens prenaient, à l’occasion des événements tragiques d’Ukraine, le temps de la réflexion, pour changer leur point de vue sur l’immigration ? Je sais, c’est difficile de dire que l’on pourrait accueillir tout le monde, tant on a cédé peu à peu à la propagande d’extrême droite qui présente comme évident et salutaire d’accueillir le moins d’étrangers possible ! 

Aucun argument sérieux n’étaye cette position et ne peut empêcher l’aide humanitaire et la solidarité.

Les migrants nous prendraient notre travail ? Comme l’indique le site d’Alternatives économiques, les immigrés participent d’une certaine manière à la création de leurs propres emplois. L’arrivée de migrants augmente certes l’offre de travail, mais elle a aussi un impact sur la demande. Car les immigrés – et leurs familles – sont également des consommateurs. Ils contribuent par ailleurs souvent de façon significative au renouvellement du tissu productif en créant de nouvelles entreprises.

La concurrence effective entre immigrés et non-immigrés reste en général limitée. Les immigrés acceptent généralement des emplois que les locaux ne veulent plus occuper. En témoigne la segmentation très poussée du marché du travail français : les immigrés sont proportionnellement deux à trois fois plus nombreux que les Français de naissance à travailler dans l’hôtellerie-restauration, dans le nettoyage et la sécurité ou encore chez des particuliers.

Y compris au sein de ces secteurs, les métiers sont très cloisonnés. Ainsi, dans la construction, les hiérarchies professionnelles ont tendance à s’organiser par rapport à l’origine des salariés. En réalité, ce sont les immigrés eux-mêmes qui ont le plus à craindre de l’arrivée de nouveaux immigrés car la concurrence se joue essentiellement entre eux.

Ils seraient dangereux pour l’ordre public ? Pense-t-on sérieusement que tous les musulmans sont islamistes et que seuls les étrangers commettent les attentats terroristes ? Quand bien même on fermerait les frontières, les criminels intégristes s’insinueraient sur le territoire, s’ils le décidaient, ou téléguideraient leurs attentats. Doit-on refuser l’asile à tous ou au plus grand nombre pour éviter les rares criminels qui se réclament d’une religion pour mieux opprimer ?

Ils seraient si nombreux qu’ils menaceraient l’identité nationale française (concept à questionner) et à terme nous remplaceraient ? On rirait franchement de ce dernier argument s’il n’était pas facteur de haine et de régression. L’immigration en France est vraiment marginale. Le diaporama de l’Accueil Demandeurs d’Asile (ADA), Asile et Immigration Faits et chiffres – 2021, dont nous donnons les références dans les sources ci-dessous, vaut mieux qu’un long discours.

Il faut affirmer notre solidarité avec tous les migrants, plus que jamais en ces temps troublés. Soyons vigilants. Qu’aucun des migrants en effet ne pâtisse de discrimination ni par rapport aux locaux, ni par rapport à d’autres immigrés.

C’est le sens, me semble-t-il, de l’engagement de notre association. 

Daniel Stissi, membre de la collégiale d’Un Toit en Belledonne

Sources